L’aurore du poète

dimanche 21 juin 2015
par  Paul Jeanzé
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En cette sublime période de frondaison
Merveilleuse saison
Donnons une image, belle de synthèse
De tous les cercles des poètes apparus
Afin qu’au lecteur ne déplaise
La lecture de ce compte rendu
Que des multiples courants
Naisse enfin une rivière
Que nous chevaucherons ensemble
Sur les glorieux dadas de la surréalité

Entrée en matière
Tentative imparfaite
Univers du poète
Superflu commentaire

Nul besoin que l’on me dessillât les yeux pour que du fond de mon lit je prisse conscience de la présence de la haie qui bordait ce côté-ci du jardin ; fermement accrochées aux pruniers sauvages, fauvettes, grisettes et autres linottes jacassaient déjà à l’envi depuis l’aube naissante. Non, il ne m’était aujourd’hui plus nécessaire, douce habitude née à la campagne de mon enfance et de ses dimanches ensommeillés, d’entrebâiller les volets pour saisir l’atmosphère qui régnait hors des murs de la maison, tant les modulations du chant des oiseaux me permettaient de savoir si j’allais être accueilli par une fraîche rosée, ou par la pluie qui tombait drue en claquant sur de larges et fières feuilles de rhubarbe refusant de finir en déconfiture. Ce matin-là, au beau milieu de l’ombre de l’aurore qui s’allongeait et des phrases qui rallongeaient, les envolées étaient joyeuses, et les trilles partaient haut vers le faîte des arbres.

À peine la porte du balcon sera-t-elle entrouverte, que le soleil matinal viendra inonder la chambre ; qu’un vent d’une douceur presque surprenante pénétrera à ses côtés dans un léger bruissement faisant imperceptiblement trembler les voilages, fragiles protecteurs de notre intimité. Peut-être sentira-t-elle au milieu de ses rêves, le souffle de la brise badine parcourir sa nuque puis son dos, avant que l’agréable zéphyr ne vienne expirer à ses pieds ; et moi, soulagé de voir mourir ainsi ce dangereux amant, me laissant alors seul avec le coupable sentiment de lui dérober une fugitive et inoffensive contemplation, je l’entendrai soupirer légèrement et se retourner dans un mouvement si lent et si suggestif, qu’aussitôt je comprendrai qu’elle ne pouvait ignorer ni ma présence ni le regard rempli de sens que je posais sur son corps en partie dénudé. Dès lors, de la plus chaste des manières, me détournant d’un geste gauche qui se voulait chevaleresque en son ébauche, j’abandonnerai l’alcôve, résistant ainsi au plaisir et au désir de me glisser dans le lit à ses côtés.

Je refermai doucement la porte derrière moi. Au moment de quitter la chambre, j’aspirais à ne pas réveiller la maison encore endormie. Mais, au plus profond des boiseries que l’on croit assoupies à jamais, l’arbre veille et se rappelle à nous au moment de marcher sur ses planches ; il nous signale qu’il est toujours vivant, malgré les couches de vernis et les ponçages successifs ; et il geint, il grince et craque sous la chaleur de mes pieds nus qui aimeraient un jour pourtant, tromper la nature et enfin trouver le bon endroit pour ne pas arracher aux escaliers autre chose que le silence. Un dernier craquement, une dernière plainte en provenance de la dernière marche, et enfin je touchais terre. En relisant aujourd’hui ce passage dans les escaliers, je réalise combien mon existence était alors bien insouciante pour ignorer qu’il suffisait parfois d’un clou dans une planche pour obtenir définitivement le silence.

La grande pièce était toujours plongée dans l’obscurité ; et si le soir venu, il me pesait d’en devoir fermer les volets, c’était avec délectation que tous les matins, je pensais au moment où j’allais inonder l’espace intérieur avec la clarté du jour. Afin de profiter au mieux de cet instant, j’aimais en repousser l’échéance et laissais d’abord mes yeux s’habituer à la pénombre, créant à travers ce court détour, comme un prélude à la lumière. Grâce à ce désuet subterfuge, les objets que jusqu’alors je ne distinguais qu’à peine commencèrent à se dévoiler, telle ma fidèle machine à café, encouragée en cela par un impatient trait de lumière qui, lassé d’attendre devant la porte, était parvenu à se glisser entre les embrasures de volets encore clos. C’était une cafetière à dépression, un modèle identique à celle qu’utilisait chaque dimanche midi mon père sur la table en bois massif qui régnait au milieu des tomettes aux tonalités rougeâtres qui tapissaient le sol de la vaste cuisine. Comme autre occupant, il y avait une grande casserole blanche en aluminite qui passait le plus clair de son temps à bouillir le lait frais afin d’en soutirer toute la crème qui devait servir plus tard pour confectionner de délicieuses tartes aux pommes. Sagement assis sur les genoux de ma mère, attendant patiemment de pouvoir imbiber un petit morceau de sucre dans sa tasse à café, comme si par ce simple geste je tentais déjà de m’enfuir de mon enfance, je regardais la magie opérer entre la boule et la tulipe, ces deux énigmatiques globes de verre qui, par l’eau transformée en vapeur grâce à son chauffage, exhalaient à travers toute une curieuse mécanique alambiquée la plus merveilleuse des odeurs qui fût. Mille fois mon père tenta de m’en expliquer le fonctionnement. Mille fois il me parla de surpression, de pression et de dépression. Mais, laissant là mon oreille se contenter du flou de ses paroles, c’est la petite goutte brunâtre, formée en haut de l’édifice et s’apprêtant à s’élancer pour venir se déposer au fond du ballon transparent, qui occupait alors toute mon attention. J’étais concentré à un point tel que je pouvais suivre l’ensemble de son parcours et les formes successives qui en découlaient : je la voyais quitter telle une larme insouciante le lieu de sa naissance, et à peine la chute entamée, alors qu’elle atteignait la plénitude en se reformant en un rond parfait au centre de la sphère, j’étais anxieux l’espace d’un instant, l’imaginant s’écraser au milieu de ses anciennes sœurs qui gisaient dans la platitude située en contrebas. Pourtant, comme par magie, dans un dernier rebond qui m’ôtait avec soulagement toute trace d’appréhension, la goutte terminait merveilleusement son éphémère existence en s’ajoutant paisiblement au liquide qui, après un léger remous provoqué par cet ultime soubresaut, avait tout juste le temps avant une prochaine avalanche de retrouver le calme d’une petite gouille perdue au milieu des montagnes nonchalantes du début de l’hiver.

Que tout cela a passé bien vite. Aujourd’hui, les larmes de café continuent de couler, amères, bien loin du goût salé de celles qui coulent dans la vallée. Le temps est passé, les larmes sont ravalées, et le café sera bien vite avalé. Mettons-nous maintenant à l’ouvrage.

*

Le commentaire

Peintre reconnu
J’aurais mon commentaire sur la toile
Poète inconnu
J’attends qu’une pauvre rime se dévoile

Depuis longtemps je vagabonde
De fil en fil, pauvre funambule vacillant au-dessus de gorges profondes
Qui charrient tout un flot de propos immondes
Agressifs, violents, moqueurs
Remplis de haine et vides d’âme
Et moi, perdu, ballotté par ce flot continu
Je suis un commentaire sur la toile inconnu
Orphelin de ma prose qui est morte à jamais

Voilà comment le poète avait commencé sa journée à la lisière de sa chambre, quitte à inventer, au milieu de sa triste et froide solitude, le souvenir ensoleillé d’une enfance qu’il n’avait jamais eue ; puis, péniblement, à partir de son imaginaire, il s’était efforcé de composer un poème et quelques rimes, guidé qu’il était par cette volonté si naïve et si touchante de vouloir absolument transfigurer la modernité de son siècle en poésie. Une fois de plus hélas, il avait la certitude d’avoir échoué ; il s’était trouvé bien peu inspiré en ce début de matinée où la grisaille tentait de pénétrer par l’étroite lucarne pour venir s’ajouter sourdement aux lueurs lugubres qui habitaient déjà son minuscule appartement. Que tout ceci lui semblait sonner terriblement faux à présent. Il se trouvait puéril, précieux, emprunté, empêtré dans des descriptions interminables de souvenirs qui avaient l’odeur écœurante d’un liquide oublié au fond d’une tasse et d’une madeleine ramollie de ne jamais avoir été dégustée. Ne pouvait-il pourtant pas tenter de se libérer de la fadeur de son imagination pour enfin laisser libre cours à la matérialité des choses et à la triste réalité ? Il retourna s’asseoir devant sa feuille de papier, jeta un air dégoûté à son café flasque et froid, et reprit la plume, résigné.

« Après mon éveil matinal dans l’atmosphère de cette chambre à l’intimité rêvée, peut‑être avez-vous cru que j’étais bien trop intimidé pour vous décrire l’origine du monde. Malheureusement, c’était plutôt sa fin que j’aurais dû célébrer ; comment pouvais-je alors prétendre en esquisser son avenir, comme l’avait déjà fait bien avant moi un écrivain d’outre‑tombe. Sans doute était-ce là toute la différence entre celui qui devient un grand de son siècle pour l’éternité, et celui qui restera le commun des mortels avant de disparaître à jamais. Pendant que l’un pense l’avenir, l’autre ne parvient même pas à écrire son présent, un angoissant présent dans lequel je ne suis encore qu’une abeille accrochée à sa ruche. Je ne suis qu’une fourmi accrochée à sa reine
Je ne suis qu’une vile petite bestiole de porcelaine
Blatte cafard punaise de tout insecte je me délecte
Une seule idée avec ma tête l’écraser sous un craquement sec
Le ramasser avec les mains avec les doigts la regarder la petite bête
Et l’engouffrer la bouche béate la bouche béante grande ouverte
Et si ma tête un peu l’en reste
Je veux chanter l’hiver l’été :
Voilà ce que j’ai voulu être
Un inconnu, un étranger, un doryphore
Une misérable petite bête
Un pauvre insecte mon propre insecte
Cet autophage nouvelle espèce »

Commentaire du temps qui passe

Vous glorieux anciens aviez le temps de réfléchir
Au temps qui passe
Nous pauvres modernes ne savons rien
Du temps qui passe

Le temps qui passe

Le temps qui passe
C’est un passe-temps qui nous ennuie
Nous les poètes des temps maudits
Dans notre esprit Alcools et spleen se sont enfuis

Le temps qui passe
C’est un tombeau
Sans commentaire
Cent commentaires
Mille commentaires
S’y trouvent enfouis

Creuse la tombe
Du temps qui passe
Mort sous les bombes
Le temps qui passe

Où est le pont
Du temps qui passe
Sous les gravats
Le temps qui passe

Goutte une larme
Du temps qui passe
S’écrase au sol
Le temps qui passe


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