Une petite histoire pour commencer

vendredi 13 octobre 2023
par  Paul Jeanzé
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Le Rabbin hassidique Soussia de Hanipol commençait un jour l’étude de l’un des traités du Talmud. Le lendemain, ses disciples, le voyant toujours penché sur la première page, pensèrent qu’il avait trouvé un texte difficile et qu’il avait du mal à le bien pénétrer. Les jours passent, et il est toujours plongé dans la première page ; les disciples s’en étonnent, mais n’osent interroger le maître. Enfin, l’un d’eux s’enhardit jusqu’à lui demander pourquoi il ne passe pas à la page suivante. Et Rabbi Soussia de répondre : « Je me sens si bien ici, pourquoi irais-je ailleurs ? »

J’avoue ressentir la même chose avec la paracha Berechit, au sein de laquelle je pourrais rester des jours durant à l’étudier. J’irai même jusqu’à dire que je pourrais passer plusieurs semaines rien que sur le premier mot : « Berechit » que l’on traduit généralement ainsi : « au commencement ».

Je m’étais d’ailleurs amusé en 2014, dans mon premier livre intitulé « Monsieur Z », à paraphraser ainsi le début de la Torah :

Au commencement, Hachem créa l’écriture et ce livre. Or ce livre n’était que solitude et chaos ; des ténèbres couvraient la surface de la couverture…

Au commencement, je m’étais toujours dit qu’un jour je raconterais mon histoire. Des histoires. Toutes sortes d’histoires. Des histoires sans début ni fin. Des histoires sans but ni destinée. Un jour, oui, je m’étais vraiment dit qu’il faudrait que je commence à raconter des histoires, comme si subitement l’envie m’était venue de vouloir recréer un univers de veillée au coin du feu pendant laquelle le conteur tenait en haleine dix yeux enfantins. Comme s’il était écrit que je devais écrire. Comme s’il était écrit que ces histoires devaient s’écrire.

Et ce n’est pas parce que je persiste à étudier cette histoire de commencement que je n’ai pas avancé, puisque presque dix années plus tard, j’ai réussi à terminer plusieurs récits, un recueils de nouvelles, de nombreux de poèmes, un roman, alors que le deuxième est en cours de rédaction.

Mais revenons au début… ou plutôt au commencement, et lisons ce qu’écrit Rachi à ce sujet :

Au commencement Rabi Yits‘haq a enseigné : La Tora, [en tant qu’elle constitue essentiellement un code de lois], aurait dû commencer par : « Ce mois-ci est pour vous le commencement des mois » (Chemoth, 12, 2), puisque c’est par ce verset qu’est édictée la première mitsva prescrite à Israël.
Rachi – Commentaire de la Torah

Mais pourquoi donc la Torah débute-t-elle par Berechit ? Ou pour poser la question autrement : quel est le but de la Création ?

Cela signifie que la création n’a d’autre raison d’être que l’accomplissement de la Torah et des Mitsvots. C’est là le sens du mot « Réchit » qui fait référence à la Torah d’une part et à Israël d’autre part. L’ensemble de la création, tout ce qui la compose, toutes les richesses et les abondances qu’elle contient ainsi que toutes les créatures appartiennent à la Torah. Tous les biens et les richesses que s’approprient les hommes en ce monde ne leurs appartiennent qu’à la condition qu’ils observent les Mitsvot, sans quoi ces biens sont considérés comme « Efkér », sans propriétaire.

Mais le commentaire de Rachi ne s’arrête pas là ; il ajoute :

« La puissance de Ses hauts faits, Il l’a révélée à Son peuple, en lui donnant l’héritage des nations » (Tehilim 111, 6). Ainsi, si les nations du monde viennent à dire à Israël : « Vous êtes des voleurs, vous avez conquis les terres des sept nations ! », on pourra leur répondre : « Toute la terre appartient au Saint béni soit-Il. C’est Lui qui l’a créée et Il l’a donnée à qui bon lui a semblé. (Cf. Yirmeya 27, 5). C’est par Sa volonté qu’Il les a données à ces peuples, et c’est par Sa volonté qu’Il les leur a reprises et qu’Il nous les a données ! » (Yalqout chim‘oni, Bo 187).
Rachi – Commentaire de la Torah

Ce commentaire est malheureusement d’actualité, en ces temps difficiles où l’existence d’Israël en tant que Terre des Juifs est violemment contestée par ses voisins de la Bande de Gaza. Cette contestation est d’ailleurs d’autant plus paradoxale que les Juifs disposent d’un texte datant de la Nuit des Temps qui pourtant détaille l’Histoire du Peuple hébreu depuis son commencement ; les limites géographiques de leur territoire ; les lois, morales et juridiques qui régissent la vie en société ; etc. Quel autre peuple dispose, si j’ose dire, d’un tel arsenal ?

D’ailleurs, les Nations qui jalousent l’ensemble du patrimoine juif devraient plutôt s’en inspirer afin de construire leur propre légitimité. Sur le plan historique, il est par exemple un historien français, du nom de Jacques Blainville (1879 - 1936), qui avait très bien compris combien il était nécessaire pour une nation, la France en concurrence, de proposer à sa jeunesse, ce que plus personne n’ose aujourd’hui appeler « un roman national ». Aujourd’hui, les cours d’histoire du collège débutent par « Nos ancêtres les Dinosaures » pendant que le premier homme, nommé « Homo habilis », nous arrive tout droit du continent africain. Avec un tel commencement, je doute que nos collégiens y voient là un patrimoine commun auxquels il puissent s’identifier !

II y a bien, bien longtemps, dans un temps si lointain que les arrière-grands-parents de nos arrière-grands-parents n’ont pas pu le connaître, notre pays s’appelait la Gaule. Il était couvert d’immenses forêts. Et Paris n’était qu’un petit village qui tenait dans une île de la Seine.

Ses habitants, qui s’appelaient les Gaulois, étaient de haute taille et ils portaient de longues moustaches qui leur donnaient un air guerrier. Ils aimaient par-dessus tout à entendre de beaux discours et à se battre. Ils étaient si braves, qu’ils disaient : « Nous ne craignons qu’une chose, c’est que le ciel tombe sur nos têtes. »

C’est pourquoi ils allaient parfois guerroyer dans les pays lointains. Ils prirent même la grande ville de Rome, et les Romains furent épouvantés comme s’ils avaient vu entrer des sauvages. Beaucoup s’enfuirent ; mais les vieux sénateurs étaient restés chez eux, assis sur leurs chaises, pour donner l’exemple du courage. Les Gaulois étaient si naïfs, qu’ils prirent ces vieillards pour des statues. L’un d’eux, afin de s’en assurer, tira la barbe d’un sénateur, qui lui donna un coup de bâton. Alors les Gaulois les tuèrent tous.

Les Gaulois vainqueurs obligèrent les Romains à leur payer une grosse somme d’or que l’on devait peser dans une balance et ils apportèrent de faux poids. Comme les Romains se plaignaient, le chef gaulois Brennus jeta son épée dans la balance et s’écria : « Malheur aux vaincus ! » Mais les Gaulois devaient être plus tard vaincus par les Romains, qui n’avaient pas oublié le mot de Brennus. Ce qui prouve que, dans ce monde, c’est à chacun son tour.

De longues années passèrent encore pendant lesquelles les Gaulois vécurent sans soucis, croyant bien qu’ils seraient toujours les maîtres chez eux. Ils aimaient beaucoup les fêtes, les grands repas, la poésie et les chansons. Leurs prêtres s’appelaient les druides. Ils cueillaient le gui dans les arbres, en grande cérémonie. C’est en souvenir des druides qu’on vend encore du gui dans les rues et que nous en mettons dans nos maisons.

Les Gaulois n’auraient jamais cessé d’être les plus forts s’ils avaient été unis. Malheureusement pour eux, ils avaient l’habitude de se quereller et même de se battre entre eux. Et c’est pourquoi ils perdirent leur liberté.

Ils avaient, de l’autre côté du Rhin, des voisins très batailleurs et très méchants, qui s’appelaient alors les Germains et que nous appelons les Allemands. Les barbares de Germanie profitèrent des disputes des Gaulois pour envahir la Gaule. C’était le moment que les Romains attendaient. « Nous arrivons, dirent-ils aux Gaulois. Nous allons vous aider à chasser vos ennemis. » Les Romains firent, en effet, comme ils l’avaient promis. Seulement, quand ils furent entrés en Gaule, ils n’en sortirent plus. Et ils entreprirent de conquérir tout le pays.
Petite histoire de France – Jacques Bainville (1930)

Je ne peux conclure cette longue paracha sans légèrement modifier cet extrait du texte de Blainville :

Les Juifs n’auraient jamais cessé d’être les plus forts s’ils avaient été unis. Malheureusement pour eux, ils avaient l’habitude de se quereller et même de se battre entre eux. Et c’est pourquoi ils perdirent leur liberté.

Si Israël n’est pas une Nation comme les autres, ce qui est valable pour les Nations l’est d’autant plus pour Israël : ce n’est qu’en restant unie autour de sa Torah qu’elle préservera et fortifiera son existence.

Zevoulon - 28 Tishri 5784


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