Quatrième jour

mardi 1er avril 2014
par  Paul Jeanzé
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« — Alors, ce jour de repos, Monsieur Z ?
— Mais enfin, Madame Fusin-Dumerg, je croyais que c’était le septième jour que nous allions nous reposer ?
— Bien joué Z, vous commencez à ne plus être dépassé et à suivre de mieux en mieux !
— Et vous, je vous trouve bien familière aujourd’hui !
— Excusez-moi, Monsieur Z, avec tout ce jour, j’ai très mal dormi.
— Ah…
— Oui. Et puis je crois que nous avons épuisé le sujet !
— Parce que ce n’est pas moi le sujet ? C’est bien dommage, d’autant plus que je me sens reposé aujourd’hui.
— Si bien sûr, mais…
— Mais quoi !
— Ne soyez pas si impatient, Monsieur Z.
— Cela n’est pas de l’impatience, c’est juste que, de vous à moi, entre vous et moi, je m’y perds parfois.
— Ne vous inquiétez pas, Monsieur Z, nous sommes le quatrième jour.
— Et donc ?
— Vous allez enfin voir le jour…
— Et moi qui croyais que l’homme avait été créé le sixième, il est vraiment urgent que je revoie mon calendrier !
— Monsieur Z, je parlais du jour et de la nuit. Nous en avions parlé dès le second jour.
— Oui, je me souviens maintenant. Le soleil, la lune, les étoiles. J’ai tendance à les oublier ceux-là, tant il est souvent difficile de lever les yeux vers le ciel. Vous regardez vers le soleil, et hop ! vous voilà aveuglé ! Que votre regard se porte vers la lune et les étoiles, et vlan ! vous voilà devenu un rêveur ! Et l’on n’aime pas les rêveurs, Madame Fusin-Dumerg. Oh que non, les rêveurs ne sont pas aimés ! Ils regardent en l’air et deviennent alors de véritables dangers pour tous les êtres humains, les vrais : les sérieux, les utiles, les efficaces, les compétents, ceux qui produisent, ceux qui manufacturisent, ceux qui divisent et additionnent, ceux qui conjuguent et qui perfectionnisent, les actifs pas les passifs ni les poussifs, enfin brif tous ces gisants agissants en pleine gloire lumineuse et qui vous éblouissent alors de leur aura hourra ! soleil, soleil, ô Roi et grands de ce monde qui êtes dans la lumière, écrasez de vos talons le ridicule hanneton que je suis, inutile insecte nuisible qui nuit dans la nuit, ah que j’aurais tant voulu être une luciole, ce ver luisant qui lui luit dans la nuit, je ne serai jamais qu’un triste ver creusant dans la terre, pas même digne de me vautrer dans les tas de compost que j’aurais pu pourtant si bien aider dans leur décomposition ! Ah, jardin fleuri de chrysanthèmes en deuil, pourquoi le misérable insecte que… »

(Note de lecture…)

La tirade précédente de Monsieur Z mériterait que l’on s’y attarde un moment. D’ailleurs, peut-être vous aura-t-elle quelque peu déstabilisé, vous qui étiez confortablement assis dans un fauteuil à écouter les échanges de nos deux protagonistes ? Oui, vous vous étiez laissé bercer par le ronronnement de leur conversation. Phrases courtes. Style direct. Jeux de mots. Quelques références, ici et là. Vous observiez tranquillement leur duel de plaisance sans craindre qu’à la fin du jour, il pût sombrer dans l’outrance. Et puis… et puis Monsieur Z sort de son chapeau (tiens, tiens) une tirade étonnante. Ou plutôt Monsieur Z sort tout à coup de la pièce feutrée du psychiatre, et avec lui l’auteur qui emboîte les pas de Monsieur Z. Et un troisième larron, le narrateur, qui vient les rejoindre en fermant, et la porte, et la marche. Et tous les trois, les voilà, prenant à partie le lecteur. Alors non, nous n’avons pas décidé de vous perdre ni de vous embrouiller l’esprit ; car c’est à vous de rester concentré, de tenter de ne pas perdre le fil, ce fil que nous pouvons couper à tout instant. Ami lecteur, au détour de ce paragraphe anodin, vous voilà maintenant entre nos mains. Votre vie dans ce livre ne tient plus qu’à un fil et à quelques conjonctions de coordination, rappelez-vous. Vous êtes en notre pouvoir et vous ne pouvez rien contre nous. Certes, vous pourriez vous arrêter de lire, passer à autre chose, mais quoiqu’il advienne, l’histoire continuera, avec ou sans vous.

Pour revenir au passage qui nous occupe, nous avions également pensé faire plus court. Nous aurions pu rester dans le rythme du dialogue et vous auriez pu lire la dernière réflexion de Monsieur Z ainsi rédigée :

« — Oui, je me souviens maintenant. Le soleil, la lune, les étoiles… J’ai tendance à les oublier ceux-là tant il est souvent difficile de lever les yeux vers le ciel quand vous vous recroquevillez sous terre comme une larve dans son cocon. »

(fin de la note de lecture)

« — Monsieur Z !
— Oui ?
— Arrêtez, vous allez me donner le cafard !

— Et puis la faune, c’est pour demain !

— Monsieur Z ? Où êtes-vous ? Monsieur Z ? Monsieur Z ! Monsieur Z… Incroyable ! il a disparu ! »


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