Troisième jour

mardi 1er avril 2014
par  Paul Jeanzé
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« — Bonjour, Madame Fusin-Dumerg !
— Bonjour, Monsieur Z. Avez-vous passé une bonne nuit ?
— Ah non, cela ne va pas recommencer !
— Excusez-moi. Il est vrai qu’aujourd’hui est un autre jour…
— Le troisième, il me semble. Il en reste donc quatre et j’aimerais bien que vous me donniez enfin votre avis sur mes écrits !
— Et pourquoi donc, Monsieur Z ? Avez-vous une bonne raison pour vouloir connaître mon avis ?
— C’est parce que je me sens dépassé.
— Mine de rien, aujourd’hui ressemble à hier…
— Oui, je n’arrive pas à avancer…
— Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que l’on vous dépasse !
— Madame Fusin-Dumerg, j’ai moi aussi parfois beaucoup de mal à vous suivre…
— Normal, vous n’avancez pas !
— Excusez-moi, mais… n’êtes-vous pas là pour me faire avancer ?
— Il ne faut pas pousser non plus !
— Si vous me poussez, je vais avancer…
— Non, cela n’avancera à rien.
— Ah…
— Dites-moi, Monsieur Z, vous arrive-t-il de rêver que vous courrez ?
— Oui, mais non. Enfin, disons que… oui, je veux courir, mais en réalité non, je n’y arrive pas !
— Après quoi courrez-vous ?
— Après le train !
— Vous essayez de m’aiguiller vers votre histoire, Monsieur Z
— Oui, dans les rails du train de l’histoire…
— Vous savez, Monsieur Z, je vais être franche avec vous. De tout ce que vous avez écrit, j’aurais bien des remarques à formuler, des questions à vous poser. Mais en procédant ainsi, ne vais-je pas dénaturer vos écrits ? Ou tout du moins enlever la part de mystère qui les entoure ?
— Le Talmud n’a pas dénaturé la Torah, Madame Fusin-Dumerg !
— Certes, mais votre texte n’est pas non plus le texte révélé !
— Pour moi, c’est pourtant bien une révélation !
— Pensez-vous pouvoir soutenir la comparaison ?
— Comparaison n’est pas raison !
— Vous risquez d’être dépassé une nouvelle fois, Monsieur Z. Et entre nous, est-ce bien raisonnable ?
— Si j’ai bien compris, non. Ce n’est pas raisonnable dans la mesure où, si ce qui était vrai hier l’est encore aujourd’hui, la raison est dépassée aujourd’hui autant qu’hier. Pourtant, je trouve qu’aujourd’hui ressemble un peu à hier. Je ne sais si c’est hier ou aujourd’hui, mais j’ai l’impression de ne pas être dans un bon jour, comme si j’étais hier dans un état second.
— Monsieur Z, j’ai bien peur que vos lecteurs soient également complètement dépassés !
— Très franchement, Madame Fusin-Dumerg, croyez-vous vraiment que j’aurai un jour des lecteurs ? Et si jamais un lecteur devait s’égarer au milieu de notre dialogue, qu’il aille donc faire un tour du côté de la tour de Babel pour voir si j’y suis !
— J’avoue qu’avec votre langage, vous semez parfois la confusion dans mon esprit !
— C’était courant à Babel…
— Et je vous soupçonne également de semer d’improbables références au milieu de nos dialogues !
— C’est naturel ne croyez-vous pas ?
— Dans votre cas, c’est plutôt surnaturel… »

Bruit dans la salle d’attente. La porte du cabinet de Madame Fusin-Dumerg s’ouvre sur un homme portant une brique dans la main droite.

« — Excusez-moi ! Pourriez-vous m’indiquer la direction de la tour de Babel s’il vous plaît ? Je dois apporter cette brique tout en haut de la tour. Il paraît qu’il y en a pour un an et que… »

S’ensuit une formidable explosion. La porte du cabinet vole en éclat. Et un pan de mur entier pendant qu’on y est, y a pas de raison ! L’homme vient d’être emporté par un obus de mortier. Loin de s’en étonner, Madame Fusin-Dumerg appelle successivement le service de nettoyage et une entreprise de maçonnerie, tous les deux réputés pour intervenir rapidement de jour comme de nuit. Ensuite ? Ensuite et après ce petit détour, elle s’en retourne vers un Monsieur Z qui, de son côté, avait regardé la scène en se demandant s’il n’avait pas rêvé.

« — Monsieur Z, je vous propose de nous arrêter là pour ce soir. Vous comprendrez aisément que je ne puisse vous recevoir demain, le temps que je fasse boucher cette nuit le jour créé par cet obus de mortier. De plus, avec tous ces travaux, j’ai peur de me retrouver dans un jour sans.
— Bien entendu, Madame Fusin-Dumerg, bien entendu… Rendez-vous donc après-demain pour un autre jour… enfin si j’ai bien compris… »


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