IV – Florac

vendredi 3 novembre 2023
par  Paul Jeanzé
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Sur un affluent du Tarn est situé Florac, siège d’une sous-préfecture, qui possède un vieux château-fort et des boulevards de platanes, maints quartiers anciens et une source vive qui jaillit de la falaise. Cette ville est renommée, en outre, par ses jolies femmes et comme l’une des deux capitales, – l’autre étant Alais, – du pays des Camisards.

Le propriétaire de l’auberge me conduisit après le déjeuner, à un café voisin où je devins, ou plutôt mon voyage devint le thème de la conversation de l’après-midi. Tout le monde avait quelques suggestions à faire au sujet de la direction à prendre. On alla chercher, à la sous-préfecture même, la carte de l’arrondissement et elle fut bien maculée de traces de pouces parmi les tasses de café et les petits verres de liqueur. La plupart de ces conseillers bénévoles étaient protestants. Cependant, je remarquai que Catholiques et Protestants avaient les rapports les plus aisés du monde. Je ne fus pas peu surpris de voir comme persistait là, vivace, le souvenir des guerres de religion. Parmi nos montagnes du Sud-Ouest, près de Mauchline, Camnock et Carsphairn, dans des fermes isolées ou des cures, de graves Presbytériens se remémorent toujours les temps de la grande persécution et les tombes des martyrs locaux ne cessent d’être pieusement entretenues. Mais dans les villes, chez ceux qu’on nomme les classes supérieures, j’ai peur que ces antiques exploits ne soient devenus des contes oiseux. Si l’on rencontre une société mêlée aux Armes Royales à Wigton, il n’y est point parlé de la même façon des Covenantaires. Que dis-je ? À Muirkirk de Glenluce, j’ai rencontré la femme d’un bedeau qui n’avait jamais entendu parler du prophète Peden. Mais ces Cévenols-ci étaient fiers de leurs ancêtres, dans un sentiment tout différent. La guerre était leur topique préféré. Ses hauts faits leurs lettres patentes de noblesse. Et là où un homme et une famille n’avaient eu que cette seule aventure, une aventure héroïque, on pouvait s’attendre à une certaine prolixité de renseignements et l’excuser. On me dit que la contrée abondait en légendes jusqu’alors non recueillies. Par ces gens, j’entendis parler de descendants de Cavalier – non de descendants en ligne directe, mais de neveux ou de cousins – qui étaient toujours des personnages considérés sur le théâtre des exploits du gamin-général. Un fermier avait vu les os d’anciens combattants exhumés au soleil d’un après-midi du XIXe siècle, dans un champ où les ancêtres avaient combattu et où leurs arrière-petits-fils creusaient un fossé.

Plus tard, dans la journée, un des pasteurs protestants eut l’amabilité de me rendre visite ; un homme jeune, intelligent et distingué avec qui je passai quelques heures d’agréable conversation. Florac, me dit-il, est mi-partie protestant, mi-partie catholique. La différence de religion s’y double, d’ordinaire, d’une divergence politique. Qu’on juge de ma surprise, arrivant comme je le faisais, d’une Pologne aux caquetages de purgatoire comme cette bourgade du Monastier, lorsque j’appris que la population entière vivait en relations très pacifiques, qu’il y avait même échange de bons services entre des familles ainsi doublement séparées. Camisards noirs et Camisards blancs, miliciens et miquelets et dragons, prophète protestant et cadet catholique de la Croix Blanche, tous avaient sabré et fait le coup de feu, brûlé, pillé et assassiné, le cœur ivre de passion et de courroux et là-même, cent soixante-dix ans après, le Protestant était toujours protestant, le Catholique toujours catholique, dans une mutuelle tolérance et douce amitié de vie. Mais le genre humain comme cette indomptable nature dont il est issu lui a conféré ses qualités particulières. Les années et les saisons portent diverses moissons, le soleil réapparaît après la pluie et l’humanité survit aux animosités séculaires comme un individu se dégage des passions quotidiennes. Nous jugeons nos devanciers d’un point de vue plus théologique et la poussière s’étant un peu dissipée après plusieurs siècles, nous pouvons voir les antagonistes parés de vertus humaines et se combattant avec un semblant de raison.

Je n’ai jamais cru qu’il fût facile d’être équitable et j’ai trouvé, de jour en jour, que c’était même plus difficile que je ne pensais. J’avoue avoir rencontré ces Protestants avec plaisir et avec l’impression d’être comme en famille. J’avais coutume de parler leur langage, dans une autre et plus profonde acception du terme que ce qui en fait la distinction entre le français et l’anglais, car la véritable Babel consiste en une divergence morale. Par là m’était possible une sociabilité plus libre avec les Protestants et plus exacte à leur endroit qu’envers les Catholiques. Père Apollinaire pouvait faire équipe avec mon frère montagnard de Plymouth, comme deux vieillards innocents et dévots. Pourtant, je me demande si j’étais aussi près de sentir les mérites du Trappiste ou, si, catholique, j’eusse apprécié si chaleureusement le dissident de La Vernède. Avec le premier j’étais dans un état de pure indulgence, tandis qu’avec l’autre, malgré un malentendu et tout en gardant certaines réserves, il était toujours possible de soutenir une conversation et d’échanger de loyales pensées. Dans ce monde imparfait, nous accueillons avec joie des sympathies même partielles. Et ne rencontrerions-nous qu’un seul homme auquel ouvrir notre cœur franchement, avec qui pouvoir marcher dans l’affection et la simplicité sans feinte, nous n’avons pas lieu de nous plaindre ni du monde, ni de Dieu.


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