Grand-père

samedi 31 octobre 2009
par  Paul Jeanzé
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Nous sommes en juin ; il fait nuit et je marche le long d’un trottoir avec ma fille sur les épaules. Alors que nous longeons un cimetière, ma fille me dit « Dis-moi Papa, pourquoi on enterre les gens dans un cimetière quand ils sont morts ? »

Je lui ai répondu quelque chose comme « c’est un lieu qui nous permet de nous souvenir des personnes qui nous sont chères et qui ne sont plus là. »

Nous souvenir…
Oui, nous souvenir…

Le poète a dit : Rien n’est plus vivant qu’un souvenir.

C’est dans le souvenir que les choses prennent leur vraie place. Car finalement, le couronnement de toute vie humaine n’est-il pas le souvenir qu’on conservera d’elle ? Et la consolation suprême qu’on promet à l’homme par-delà la mort, n’est-ce pas la « mémoire éternelle » ?

Alors aujourd’hui, je me souviens, de simples souvenirs d’enfant.

C’est ainsi que je me souviens de ces journées de mon enfance passées rue des Limousins dans la maison de Grand‑Père et Grand‑Mère, de l’immense table du salon qui accueillait des amis, mes parents, mes oncles et tantes et puis plus tard mes cousins et cousines. Oui, je me souviens de cette immense table et de son cortège de rires et de discussions animées.

Je me souviens également de ces noëls, où le grand salon se coupait en deux et créait alors une nouvelle pièce pleine de mystères. Une année, je me revois descendre à la cave pour jouer aux fléchettes et découvrir un cadeau non encore emballé et qui m’était destiné. C’était un jeu de société, un cluedo. Je ne sais pourquoi, mais ce jeu a depuis toujours eu une place à part dans ma mémoire.

Maintenant, quand il m’arrive de faire une partie de ce jeu tout simple avec mon fils et qu’il me dit : « Je suspecte le Colonel Moutarde d’avoir tué le docteur Lenoir avec le chandelier dans la véranda », j’ai toujours une pensée pour Grand-Père.

Alors bien sûr, entre l’enfant d’hier et l’homme d’aujourd’hui, le temps a passé, et nos chemins ne se sont que trop rarement croisés. Mais finalement quelle importance ? L’absence ni le temps ne sont rien quand on aime.

C’est pourquoi l’homme d’aujourd’hui est à la fois triste de voir Grand-Père partir mais également joyeux de savoir qu’il a enfin rejoint celle qu’il a aimée et accompagnée pendants ses longues années de maladie.

Car comme le disait le prophète :

Votre joie est votre tristesse sans masque.
Et le puits même d’où fusent vos rires fut souvent rempli de vos larmes.
Et comment peut-il en être autrement ?
Plus la tristesse évide l’intérieur de votre être, plus vous pouvez contenir de la joie.
La coupe qui recueille votre vin, n’est-elle pas la coupe même qui fut cuite dans le four du potier ? Et le luth qui apaise votre esprit n’est-il pas du même bois qui fut travaillé au couteau ?
Quand vous êtes joyeux, regardez profondément en votre cœur et vous trouverez que seul ce qui vous a rendu triste vous apporte la joie.
Et quand vous êtes plein de tristesse, regardez de nouveau en votre cœur, et vous verrez qu’en vérité vous pleurez ce qui fut votre délice.
Certains d’entre vous disent : « La joie est plus grande que la tristesse », et d’autres disent : « Non, la tristesse est plus grande ».
Mais je vous le dis, elles sont inséparables.
Ensemble elles viennent, et quand l’une est assise seule avec vous à votre table, souvenez-vous que l’autre dort dans votre lit.
En vérité, vous êtes comme une balance suspendue entre votre tristesse et votre joie.
C’est seulement lorsque vous êtes vide que vous êtes immobile et en équilibre.
Lorsque le gardien du trésor vous soulève pour peser son or et son argent, il faut alors que votre joie ou votre tristesse s’élève ou s’abaisse.

Joie, tristesse, souvenir

La mort ferme les yeux des morts et ouvre ceux des vivants.
À chacun de nous je voudrais dire maintenant : « ne les refermons pas. »
Dieu a donné une sœur au souvenir et il l’a appelée… espérance.

Le 31 octobre 2009


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