Habiter pour être étranger

Par Gérard Touaty
jeudi 17 décembre 2020
par  Paul Jeanzé
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"Yaakov d’installa dans le pays où son père avait séjourné…" Sur ce verset, Rachi, citant le Midrach, donne au mot "s’installa" une connotation péjorative : Yaakov voulait demeurer en paix, mais des tourments lui viendront de Yosseph. "... Hachem déclarent : les Justes ne se contentent donc pas de ce qui leur est réservé dans le monde futur, ils voudraient la paix dans ce monde-ci !" Nous reviendrons plus loin sur ce reproche. La fin de la paracha nous décrit le séjour de Yosseph en prison, privé de sa liberté sur une accusation mensongère. Il partage sa captivité avec deux serviteurs du Pharaon dont il explique les rêves d’une nuit. L’un d’entre eux est finalement libéré et Yosseph lui demande de plaider sa cause auprès du Pharaon. Et la paracha s’achève sur ces mots : "Le maître-échanson ne se souvint plus de Yosseph ; il l’oublia". Quel rapport pouvons-nous dégager de ces deux situations ?

Quitter la voie de son père

Sur les premiers mots de la paracha, le Keli Yakar [1] nous livre un commentaire intéressant : "Yaakov souhaita s’insttaler d’une manière fixe dans un lieu où son père se considérait comme un étranger". C’est ce qui amena les problèmes liés à Yosseph. À partir du moment où le fils dévie de la voie de son père, il doit s’attendre à affronter de grandes difficultés. Nos Maîtres remarquent que le mot hébreu "geur" qui signifie "étranger" est aussi la racine (en partie) du verbe "gour" qui signifie "habiter". Lorsqu’un Juif s’installe dans le monde pour y vivre ou y travailler, il doit se considérer comme un étranger pour, à chaque instant, sentir que le monde ne lui appartient pas. En règle générale, les problèmes que l’homme rencontrent, dans sa vie, viennent d’un attachement excessif aux valeurs matérielles du monde : "Celui qui augment ses biens augment ses soucis", déclarent les Pirké Avoth". La douleur de perdre un objet plus ou moins précieux sera proportionnelle au degré d’attachement émotionnel à cet objet. Pour réduire cette souffrance, il doit créer une distance entre lui et son environnement matériel pour en devenir indépendant. C’est ce que la Torah appelle la liberté : une complète indépendance face au monde et à ses pressions idéologiques, ou spirituelles afin de se connaître réellement.

Les illusions révolutionnaires

C’est le piège que tant de jeunes générations juives ne purent éviter. Combien de jeunes Juifs avons-nous vus à la tête de mouvements de contestation politique ou sociale, convaincus que le monde leur appartenait et qu’ils pouvaient le changer. Ils s’y installèrent croyant que leur identité juive disparaîtrait dans un humanisme universel de paix et d’amour. Mais la fin de notre paracha nous avait depuis longtemps averti : "Le maître-échanson ne se souvint plus de Yosseph ; il l’oublia". Les Juifs sont toujours au premier rang de tous les combats : contre le Vietnam, pour le Bangladesh, pour la Yougoslavie, mais lorsqu’il leur faudra défendre leur propre cause (Israël ou les Juifs opprimés à travers le monde ils se retrouveront seuls parce que le monde aura oublié le Juif.

On peut lire en filigrane de cette réflexion, l’histoire de Hanoucca. Cette période de notre Tradition est aussi l’histoire d’une illusion. Celle qui fit croire aux Juifs de l’époque que l’on pouvait concilier judaïsme et philosophie grecque. Mais sous le brillant de l’idéologie helléniste se cachait la volonté "de faire oublier la Torah de Hachem". Pour un Juif, le compromis idéologique se fera toujours au détriment de la Torah, car la parole de Hachem est parfaite dans sa totalité. L’amoindrir en partie, c’est le pas vers l’oubli définitif.

Gérard Toutay (Actualité Juive hebdo)


[1Rabbi Chlomo Ephraïm de Lountziz (1550-1619)


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