Shakespeare (William) - (1564 - 1616)

Hamlet (1603)
dimanche 9 janvier 2022
par  Paul Jeanzé
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La Tragique Histoire d’Hamlet, prince de Danemark
Texte publié en 1603. Traduction française par François de Victor Hugo

Acte 1, scène 2

HORATIO. − Monseigneur, j’étais venu pour assister aux funérailles de votre père.
HAMLET. − Ne te moque pas de moi, je t’en prie, camarade étudiant ! je crois que c’est pour assister aux noces de ma mère.
HORATIO. − il est vrai, monseigneur, qu’elles ont suivi de bien près.
HAMLET. − Économie ! économie, Horatio ! Les viandes cuites pour les funérailles ont été servies froides sur les tables du mariage. Que n’ai−je été rejoindre mon plus intime ennemi dans le ciel plutôt que d’avoir jamais vu ce jour, Horatio ! Mon père ! Il me semble que je vois mon père !
Collection GF - page 265

Acte 1, scène 3

OPHÉLIA. − Je conserverai le souvenir de ces bons conseils comme un gardien pour mon coeur. Mais vous, cher frère, ne faites pas comme ce pasteur impie qui indique une route escarpée et épineuse vers le ciel, tandis que lui−même, libertin repu et impudent, foule les primevères du sentier de la licence, sans se soucier de ses propres sermons.

[...]

Maintenant grave dans ta mémoire ces quelques préceptes. Refuse l’expression à tes pensées et l’exécution à toute idée irréfléchie. Sois familier, mais nullement vulgaire. Quand tu as adopté et éprouvé un ami, accroche−le à ton âme avec un crampon d’acier ; mais ne durcis pas ta main au contact du premier camarade frais éclos que tu dénicheras. Garde−toi d’entrer dans une querelle ; mais, une fois dedans, comporte−toi de manière que l’adversaire se garde de toi. Prête l’oreille à tous, mais tes paroles au petit nombre. Prends l’opinion de chacun ; mais réserve ton jugement. Que ta mise soit aussi coûteuse que ta bourse te le permet, sans être de fantaisie excentrique ; riche, mais peu voyante ; car le vêtement révèle souvent l’homme ; et en France, les gens de qualité et du premier rang ont, sous ce rapport, le goût le plus exquis et le plus digne. Ne sois ni emprunteur, ni prêteur ; car le prêt fait perdre souvent argent et ami, et l’emprunt émousse l’économie. Avant tout, sois loyal envers toi−même ; et, aussi infailliblement que la nuit suit le jour, tu ne pourras être déloyal envers personne. Adieu ! Que ma bénédiction assaisonne pour toi ces conseils !
Collection GF - page 269

Acte 1, scène 5

HAMLET. − Calme−toi ! calme−toi, âme en peine ! Sur ce, messieurs, je me recommande à vous de toute mon affection ; et tout ce qu’un pauvre homme comme Hamlet pourra faire pour vous exprimer son affection et son amitié sera fait, Dieu aidant. Rentrons ensemble et toujours le doigt sur les lèvres, je vous prie. Notre époque est détraquée. Maudite fatalité, que je sois jamais né pour la remettre en ordre ! Eh bien ! allons ! partons ensemble ! (Ils sortent.)
Collection GF - page 280

Acte 2, scène 1

Vous voyez maintenant : la carpe de la vérité se prend à l’hameçon de vos mensonges ; et c’est ainsi que, nous autres, hommes de bon sens et de portée, en entortillant le monde et en nous y prenant de biais, nous trouvons indirectement notre direction.
Collection GF - page 283

Acte 2, scène 2

POLONIUS. − Voilà une affaire bien terminée. Mon suzerain et madame, discuter ce que doit être la majesté royale, ce que sont les devoirs des sujets, pourquoi le jour est le jour, la nuit la nuit, et le temps le temps, ce serait perdre la nuit, le jour et le temps. En conséquence, puisque la brièveté est l’âme de l’esprit et que la prolixité en est le corps et la floraison extérieure, je serai bref. Votre noble fils est fou, je dis fou ; car définir en quoi la folie véritable consiste, ce serait tout simplement fou. Mais laissons cela.
Collection GF - page 287

ROSENCRANTZ. − C’est que je me disais, monseigneur, puisque l’homme n’a pas de charme pour vous, quel maigre accueil vous feriez aux comédiens que nous avons accostés en route, et qui viennent ici vous offrir leurs services.
HAMLET. − Celui qui joue le roi sera le bienvenu : Sa Majesté recevra tribut de moi ; le chevalier errant aura le fleuret et l’écu ; l’amoureux ne soupirera pas gratis ; le personnage lugubre achèvera en paix son rôle ; le bouffon fera rire ceux dont une toux sèche chatouille les poumons ; et la princesse exprimera librement sa passion, dût le vers blanc en être estropié... Quels sont ces comédiens ?
ROSENCRANTZ. − Ceux−là mêmes qui vous charmaient tant d’habitude, les tragédiens de la Cité.
HAMLET. − Par quel hasard deviennent−ils ambulants ? Une résidence fixe, et pour l’honneur et pour le profit, leur serait plus avantageuse.
ROSENCRANTZ. − Je crois qu’elle leur est interdite en conséquence de la dernière innovation.
HAMLET. − Sont−ils aussi estimés que lorsque j’étais en ville ?. Sont−ils aussi suivis ?
ROSENCRANTZ. − Non, vraiment, ils ne le sont pas.
HAMLET. − D’où cela vient−il ? Est−ce qu’ils commencent à se rouiller ?
ROSENCRANTZ. − Non, leur zèle ne se ralentit pas ; mais vous saurez, monsieur, qu’il nous est arrivé une nichée d’enfants, à peine sortis de l’œuf, qui récitent tout du même ton criard, et qui sont applaudis avec fureur pour cela ; ils sont maintenant à la mode, et ils clabaudent si fort contre les théâtres ordinaires (c’est ainsi qu’ils les appellent), que bien des gens portant l’épée ont peur des plumes d’oie, et n’osent plus y aller.
HAMLET. − Comment ! ce sont des enfants ? Qui les entretient ? D’où tirent−ils leur écot ?. Est−ce qu’ils ne continueront pas leur métier quand leur voix aura mué ?. Et si, plus tard, ils deviennent comédiens ordinaires (ce qui est très probable, s’ils n’ont pas d’autre ressource), ne diront−ils pas que les auteurs de leur troupe ont eu grand tort de leur faire diffamer leur futur gagne−pain ?
ROSENCRANTZ. − Ma foi ! il y aurait beaucoup à faire de part et d’autre ; et la nation ne se fait pas faute de les pousser à la querelle. Il y a eu un temps où la pièce ne rapportait pas d’argent, à moins que tous les rivaux, poètes et acteurs, n’en vinssent aux coups.
HAMLET. − Est−il possible ?.
GUILDENSTERN. − il y a eu déjà bien des cervelles broyées.
HAMLET. − Et ce sont les enfants qui l’emportent ?.
ROSENCRANTZ. − Oui, monseigneur : ils emportent Hercule et son fardeau.
HAMLET. − Ce n’est pas fort surprenant. Tenez ! mon oncle est roi de Danemark ; eh bien ! ceux qui lui auraient fait la grimace du vivant de mon père donnent vingt, quarante, cinquante et cent ducats pour son portrait en miniature. Sang−dieu ! il y a là quelque chose qui n’est pas naturel : si la philosophie pouvait l’expliquer ! (Fanfare de trompettes derrière le théâtre.)
GUILDENSTERN. − Les acteurs sont là.
Collection GF - page 295

Acte 3, scène 1

HAMLET. − Etre, ou ne pas être, c’est là la question. Y a−t−il plus de noblesse d’âme à subir la fronde et les flèches de la fortune outrageante, ou bien à s’armer contre une mer de douleurs et à l’arrêter par une révolte ? Mourir... dormir, rien de plus ;... et dire que par ce sommeil nous mettons fin aux maux du cœur et aux mille tortures naturelles qui sont le legs de la chair : c’est là un dénouement qu’on doit souhaiter avec ferveur. Mourir... dormir, dormir ! peut−être rêver ! Oui, là est l’embarras. Car quels rêves peut−il nous venir dans ce sommeil de la mort, quand nous sommes débarrassés de l’étreinte de cette vie ? Voilà qui doit nous arrêter. C’est cette réflexion−là qui nous vaut la calamité d’une si longue existence. Qui, en effet, voudrait supporter les flagellations, et les dédains du monde, l’injure de l’oppresseur, l’humiliation de la pauvreté, les angoisses de l’amour méprisé, les lenteurs de la loi, l’insolence du pouvoir, et les rebuffades que le mérite résigné reçoit d’hommes indignes, s’il pouvait en être quitte avec un simple poinçon ?. Qui voudrait porter ces fardeaux, grogner et suer sous une vie accablante, si la crainte de quelque chose après la mort, de cette région inexplorée, d’où nul voyageur ne revient, ne troublait la volonté, et ne nous faisait supporter les maux que nous avons par peur de nous lancer dans ceux que nous ne connaissons pas ?. Ainsi la conscience fait de nous tous des lâches ; ainsi les couleurs natives de la résolution blêmissent sous les pâles reflets de la pensée ; ainsi les entreprises les plus énergiques et les plus importantes se détournent de leur cours, à cette idée, et perdent le nom d’action... Doucement, maintenant ! Voici la belle Ophélia... Nymphe, dans tes oraisons souviens−toi de tous mes péchés.
Collection GF - page 304

Acte 3, scène 3

GUILDENSTERN. − Oh ! Monseigneur, si mon zèle est trop hardi, c’est que mon amour pour vous est trop .sincère.
HAMLET. − Je ne comprends pas bien cela. Voulez−vous jouer de cette flûte ?.
GUILDENSTERN. − Monseigneur, je ne sais pas.
HAMLET. − Je vous en prie.
GUILDENSTERN. − Je ne sais pas, je vous assure.
HAMLET. − Je vous en supplie.
GUILDENSTERN. − J’ignore même comment on en touche, monseigneur.
HAMLET. − C’est aussi facile que de mentir. Promenez les doigts et le pouce sur ces soupapes, soufflez ici avec la bouche ; et cela proférera la plus parfaite musique. Voyez ! voici les trous.
GUILDENSTERN. − Mais je ne puis forcer ces trous à exprimer aucune harmonie. Je n’ai pas ce talent.
HAMLET. − Eh bien ! voyez maintenant quel peu de cas vous faites de moi. Vous voulez jouer de moi, vous voulez avoir l’air de connaître mes trous, vous voulez arracher l’âme de mon secret, vous voulez me faire résonner tout entier, depuis la note la plus basse jusqu’au sommet de la gamme. Et pourtant, ce petit instrument qui est plein de musique, qui a une voix admirable, vous ne pouvez pas le faire parler. Sang−dieu ! croyez−vous qu’il soit plus aisé de jouer de moi que d’une flûte ?. Prenez−moi pour l’instrument que vous voudrez, vous pourrez bien me froisser, mais vous ne saurez jamais jouer de moi.
Collection GF - page 320

Acte 3, scène 3

Un Roi ne rend jamais le dernier soupir que dans le gémissement de tout un peuple.
Collection GF - page 322

Acte 3, scène 3

LE ROI. − Mes paroles s’envolent ; mes pensées restent en bas. Les paroles sans les pensées ne vont jamais au ciel.
Collection GF - page 324

Acte 4, scène 3

LE ROI. − Eh bien ! Hamlet, où est Polonius ?.
HAMLET. − A souper.
LE ROI. − A souper ! Où donc ?.
HAMLET. − Quelque part où il ne mange pas, mais où il est mangé : une certaine réunion de vers politiques est attablée autour de lui. Le ver, voyez−vous, est votre empereur pour la bonne chère. Nous engraissons toutes les autres créatures pour nous engraisser et nous nous engraissons nous−mêmes pour les infusoires. Le roi gras et le mendiant maigre ne sont qu’un service différent, deux plats pour la même table. Voilà la fin.
LE ROI. − Hélas ! hélas !.
HAMLET. − Un homme peut pêcher avec un ver qui a mangé d’un roi, et manger du poisson qui s’est nourri de ce ver.
LE ROI. − Que veux−tu dire par là ?.
HAMLET. − Rien. Je veux seulement vous montrer comment un roi peut faire un voyage à travers les boyaux d’un mendiant.
LE ROI. − Où est Polonius ?.
HAMLET. − Au ciel. Envoyez−y voir : si votre messager ne l’y trouve pas, cherchez−le vous−même dans l’endroit opposé. Mais, ma foi ! si vous ne le trouvez pas d’ici à un mois, vous le flairerez en montant l’escalier de la galerie.
Collection GF - page 334

Acte 4, scène 4

Qu’est−ce que l’homme, si le bien suprême, l’aubaine de sa vie est uniquement de dormir et de manger ?... Une bête, rien de plus. Certes celui qui nous a faits avec cette vaste intelligence, avec ce regard dans le passé et dans l’avenir, ne nous a pas donné cette capacité, cette raison divine, pour qu’elles moisissent en nous inactives. Eh bien ! est−ce l’effet d’un oubli bestial ou d’un scrupule poltron qui me fait réfléchir trop précisément aux conséquences, réflexion qui, mise en quatre, contient un quart de sagesse et trois quarts de lâcheté ?... Je ne sais pas pourquoi j’en suis encore à me dire : Ceci est à faire ; puisque j’ai motif, volonté, force et moyen de le faire. Des exemples, gros comme la terre, m’exhortent : témoin cette armée aux masses imposantes, conduite par un prince délicat et adolescent, dont le courage, enflé d’une ambition divine, fait la grimace à l’invisible événement, et qui expose une existence mortelle et fragile à tout ce que peuvent oser la fortune, la mort et le danger, pour une coquille d’œuf !... La grandeur vraie n’est pas de s’agiter sans cause majeure, c’est de trouver dans un fétu un noble motif de querelle, quand l’honneur est en jeu. Que suis−je donc moi qui ai l’assassinat d’un père, le déshonneur d’une mère, pour exciter ma raison et mon sang, et qui laisse tout dormir ? Tandis qu’à ma honte je vois vingt mille hommes marcher à une mort imminente, et, pour une fantaisie, pour une gloriole, aller au sépulcre comme au lit, se battant pour un champ, où il leur est impossible de se mesurer tous et qui est une tombe trop étroite pour couvrir les tués ! Oh ! que désormais mes pensées soient sanglantes, pour n’être pas dignes du néant !
Collection GF - page 336

Acte 4, scène 5

OPHÉLIA. − Bien. Dieu vous récompense ! On dit que la chouette a été jadis la fille d’un boulanger. Seigneur, nous savons ce que nous sommes, mais nous ne savons pas ce que nous pouvons être. Que Dieu soit à votre table !
Collection GF - page 339

Acte 5, scène 2

HAMLET. − il faisait des compliments à la mamelle de sa nourrice avant de la téter. Comme beaucoup d’autres de la même volée dont je vois raffoler le monde superficiel, il se borne à prendre le ton du jour et les usages extérieurs de la société. Sorte d’écume que la fermentation fait monter au sommet de l’opinion ardente et agitée : soufflez seulement sur ces bulles pour en faire l’épreuve, elles crèvent !
Collection GF - page 366


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