Une controverse qui sépare
par
Notre paracha, en son début, nous rapporte le récit d’une querelle déclenchée par Kora’h dignitaire important du peuple juif qui contesta l’autorité de Moshé Rabbenou et fut, par ce fait, à l’origine d’une grave scission au sein du peuple. Cette tendance est fortement stigmatisée par nos Maîtres qui voient dans cette attitude l’origine de la faiblesse d’Israël face aux Nations. Pourtant, les Pirké Avoth relèvent qu’il existe des controverses qui présentent un caractère hautement positif. Celles qui opposaient Hillel et Chamaï en sont l’incarnation parfaite, Kora’h symbolisant lui, la recherche de la querelle pour la querelle. Comment pouvons-nous dissocier l’un de l’autre ? Notre étude proposera une réponse.
« Toute controverse qui s’exprime dans l’intérêt du Ciel finira par porter ses fruits mais celle qui n’est pas dans l’intérêt du Ciel n’aura pas d’issue positive. L’exemple d’une bonne controverse nous est donné par Hillel et Chamaï, alors que celui d’une controverse malsaine nous est donné par Kora’h et son groupe » [1] Pour expliquer ce texte nous commencerons par sa fin. Sa formulation en effet n’épouse pas la symétrie du début. Toute controverse oppose généralement deux parties ou deux hommes comme c’est le cas pour le début de la michna avec Hillel et Chamaï. Or nous voyons que la querelle de Kora’h ne met en présence qu’une seule partie : Kora’h et son groupe. Pourquoi Moshé n’est-il pas cité ?
Pour lui-même
Ce détail nous permettra en fait de comprendre le sens ou plutôt l’origine d’une controverse qui n’est pas saine. Lorsque deux individus s’opposent sur un fait ou une idée il faut distinguer deux choses : l’idée débattue et les personnes en présence. Quand chacun des protagonistes avance un argument, le problème est de savoir s’il le fait pour l’idée elle-même ou pour mettre en valeur sa propre personne. Dans la plupart des cas c’est la seconde hypothèse qui s’impose. Au départ on évoque des idées puis peu à peu, au cours du débat, chacun s’identifiant à l’idée qu’il défend, la controverse prend une autre tournure : ce ne sera plus l’idée qui sera l’objet des discussions mais l’amour propre que chacun aura à préserver. On peut comprendre à présent pourquoi le texte ne mentionne pas Moshé mais Kora’h uniquement. Lorsque ce dernier contesta le pouvoir de Moshé il ne le faisait pas contre Moshé mais pour lui-même, pour l’intérêt qu’il pouvait tirer de cette querelle. C’est en fait l’orgueil qui commanda toute sa démarche. Le nom קרח, Kora’h, d’ailleurs se compose des mêmes lettres que la racine verbale רהק qui évoque l’idée d’éloignement. Kora’h par son comportement se mit en rupture totale avec l’esprit authentique du judaïsme. On retrouvera cette idée au tout début de la paracha dans la traduction araméène de la Torah qui à propose du premier verset écrira « Kora’h se sépara ».
Pour le bien de l’homme
Pour Hillel et Chamaï, c’est l’humilité qui prévalait dans leurs débats. Bien plus (et nous touchons là à un concept tout à fait unique de la philosophie juive) la controverse sur les idées était en réalité secondaire. Nous savons en effet que dans la majorité des cas la loi juive était fixée d’après l’avis de Hillel et cela bien que l’école de Chamaï fut bien plus forte quant à l’élaboration intellectuelle du raisonnement. Et pourquoi néanmoins l’école de Hillel eut-elle gain de cause ? Et le Talmud de répondre : parce que cette école était humble et conciliante [2] ! Ceci parce que les idées existent pour les hommes [3] et non le contraire car dès lors c’est la porte ouverte à tous les fanatismes. là est le fondement d’une controverse construite dans l’intérêt du Ciel : effacer sa personne devant l’authenticité d’une idée.
[1] chap. 5 michna 7
[2] Traité Yebamoth p. 14a
[3] C’est-à-dire pour leur bien. Mais quand les hommes sont asservis aux idées le Mal devient possible.